Charlie Wellecam - Peintre

Autoportrait au règlement de compte ou les enclos sauvages, 2014, huile sur toile, 65x100[détails]

Autoportrait au règlement de compte ou les enclos sauvages, 2014, huile sur toile, 65x100 par Charlie Wellecam

"Ils détalèrent par la sortie de secours donnant sur la ruelle située à l'arrière de l'échoppe. Les parois métalliques se refermèrent derrière eux, les cris et hueries des clients s'estompant instantanément. Les compères reculèrent de quelques pas feutrés face à cette porte menaçant de déverser un foisonnement de corps dénudés et enragés.
La tension semblait peu à peu s'estomper, lorsqu'un malandrin surgit brusquement d'un amas de détritus amoncelés derrière eux pour se jeter au cou d'Andy ; tous sursautèrent, horrifiés du dégoût qu'évoquait l'apparence du misérable. Ils se le bousculèrent l'un à l'autre dans des spasmes nerveux, celui-ci cafouillant un flot de paroles confuses, finissant par choir.
« Qui es-tu, manant ? » chanta Toungouze d'un ton de capes et d'épées, brandissant son doigt vers le grouillot bedonné, cul à terre. Celui-ci, tentant d'esquisser une réponse dans son chambardement de rires et de tissus retroussés sur la tête :
« Il ... Il m'a semblé que vous cherchiez à apprendre et comprendre les enjeux qui sous vos yeux se tendent. Ne croyez pas que je vous espionne, dit-il en se relevant, disons plutôt que j'ai perçu au loin les fragments de pensées s'échappant dans les airs, et vous ai observé cultiver maladroitement votre jardin ! Alors, me voici donc, vous proposant mon aide. Je me présente ! reprit-il avec vigueur, Don Juan d'Immendorf ! » s'inclinant vers le sol d'un geste leste, retirant un bonnet orné d'une longue plume de pigeon, chaussure droite trouée en avant, main gauche sous mitaine ornant l'air d'un mouvement gracile.
Les quatre lui rendirent sa révérence, quelque peu amusés de la scène.
« Je ne comprends toutefois... commença Toungouze.
– Silence ! répliqua Don Juan, soufflotant maintenant, le temps presse, il me faut vous informer au possible. »
Guettant d'un air anxieux les alentours du mince groupe qu'ils formaient, il agrippait Toungouze pour lui parler de plus près, de peur qu'on ne les entende dans cette mince ruelle en cul-de-sac.
« Il existe quatre ennemis, mon jeune ami. Retenez bien leur nom, car toute votre vie durant, ce seront eux qui vous feront face.
– Et bien, parlez !
– D'abord, la peur ! Tapie dans l'ombre, prête à vous submerger ! »
Le vieux cochon arrangeait son discours de mimiques et de temps morts dignes de jeux d'acteurs moliéresques.
Levant le poing au ciel.
– Ensuite, la puissance, maîtresse aveuglante aux atours enivrants. Puis, la clarté, qui s'insinue dans votre être et vous fait oublier qui vous êtes. Et pour finir, la fatigue du temps qui passe ; qui y succombe, voit ces enseignements s'envoler...
Toungouze était déconcerté du discours tenu par le vieil homme.
– Maintenant il vous faut partir jeune homme ! » Sur ces mots, ses mains agrippeuses se détachèrent et il disparut derrière le groupe.
Quelques secondes passèrent avant qu'ils ne se rendent compte que le silence était agité. Des grognements émanaient du côté de la rue menant au reste de la ville. Ajowsky tendit le bras vers Yougarry qui se retourna lentement, suivi par les autres. De hauts murs étroits entouraient ce passage, la chaleur du soleil peinant à atteindre le sol. Un nain sans bras, vêtu d'un casque de métal et d'un haillon couvrant ses parties génitales, tabassait de coups de pieds une statue de plâtre étendue sur le sol, le visage en morceaux. À quelques mètres en amont, un homme aux traits imperceptibles assis sur un fauteuil vert émeraude aux reflets vert-de-gris, visiblement absorbé par la scène, salivant presque à la vue de celle-ci. Derrière le siège se tenait une femme aux vêtements noirs, debout, bras croisés, stoïque. Plus loin encore, on pouvait discerner des escaliers de béton qui montait vers une chaleur lumineuse lointaine. L'attention du trio se porta sur les quatre compères. La tension fut palpable, ils se sentaient tels des profanateurs intrusifs dans un rite sacré.
« Par ici ! » cria le clodo.
Le nain grognait et tapait le sol du pied dans une attitude de défi, la bave perlant de ses lèvres en forme de tranchées, les cris d'une meute de chiens se répercutant le long des murs.
Tous se précipitèrent dans le cul-de-sac, le sale enseignant vêtu de loques renversa d'un coup de pompe trouée, édentée de doigts de pieds aux ongles incarnés, une poubelle métallique qui dégueula peaux de bananes et boîtes de conserve. Un passage dissimulé apparut.
« Rampez, hâtez-vous ! »
Le nain sans bras rageait de cris grognards, sa gueule difforme se mouvant par des coups de crocs dans l'air ; ses minuscules guiboles se mirent en branle et pourchassèrent les quatre. L'homme assis dans le fauteuil émeraude se releva, à l'affût." Conatus, Charlie Wellecam, 2015.